
Le vendredi 7 novembre 2025,
Menassat, en collaboration avec l’Association Assaida Al Horra, a tenu à M’diq
une rencontre scientifique autour du rapport «Femmes, espace public et libertés
individuelles», fruit d’une enquête nationale auprès de 1584 participants.
Cette rencontre a rassemblé chercheurs, universitaires et acteurs de la société
civile pour discuter les résultats de ce rapport qui aborde les représentations
des Marocains concernant l’accès des femmes à l’espace public.
L’objectif de cette rencontre
était double pour Menassat : d’une part, vulgariser le produit scientifique
afin de stimuler les débats et enrichir les échanges sur les perceptions et
représentations sociales, d’autre part, construire des ponts entre acteurs et
partenaires pour favoriser le partage d’expériences et la réflexion collective
sur les leviers permettant de renforcer l’accès des femmes et d’améliorer leur
sécurité et leur liberté dans l’espace public.
Abdelrahman
Zakriti : Cadre et enjeux de l’étude sur les femmes et l’espace public
En ouverture de la session, Abdelrahman Zakriti a
présenté le contexte de la recherche sur les femmes, espace public et libertés
individuelles qui entre dans le cadre du programme JIL Fatima Mernissi pour la
saison 2024-2025. Il a rappelé que, ce sujet récurrent dans les discours politiques et
sociaux, nécessitait une approche académique susceptible d’analyser
en profondeur les transformations sociales et de mettre en lumière la manière
dont elles s’articulent dans le contexte marocain.
Zakriti a expliqué que les
débats sur le corps, la liberté et la souveraineté individuelle ont conduit
l’équipe à concevoir un outil de terrain rigoureux, composé de 73 questions
couvrant plusieurs axes, et déployé dans différentes régions urbaines et
rurales malgré des moyens limités. L’intervenant a également souligné que
l’espace public est un lieu de croisements et de mutations sociales, où la
liberté des femmes demeure inégalement répartie et conditionnée par des
facteurs tels que l’argent et le pouvoir. Il a conclu sur la nécessité de
renouveler le débat scientifique autour de la notion de liberté et de ses
représentations, tout en rappelant le rôle central du sociologue dans l’analyse
des enjeux liés aux libertés individuelles au sein des structures sociales.
Bouchraïb
Majdoul : Le corps féminin entre représentations et contrôle social
En présentant les
résultats les plus significatifs autour du corps féminin et l’espace public tels que
déclinés dans le rapport en question, Majdoul a expliqué que 63 % des interviewés reconnaissent le droit
des femmes à disposer de leur corps dans l’espace privé, tandis qu’une partie parmi
eux estime que cette liberté devrait y être encadrée. Concernant l’accès à
l’espace public, 54 % s’y opposent, indiquant que le contexte social et
l’imaginaire influence davantage le degré de liberté plus que tout autre
facteur. Majdoul souligne que la prise de conscience individuelle, concernant
cet accès se développe principalement dans les villes et les universités,
tandis que les zones rurales restent attachées à des valeurs conservatrices.
Ainsi, l’ouverture à la liberté des femmes est plus marquée en milieu urbain, surtout
chez les jeunes et les personnes ayant un niveau d’instruction élevé.
Concernant le port du voile,
Majdoul indique qu’il est perçu non seulement comme indicateur vestimentaire
religieux, mais comme un marqueur identitaire et moral, associé à la pudeur et
à la retenue, et servant à réguler symboliquement la présence du corps féminin
dans l’espace public. Sur la question du harcèlement, il rapporte que plus de
70 % des participants ont déclaré en avoir été témoins, mais deux tiers n’y ont
pas intervenu, révélant que, malgré sa répression légale, cette pratique
conserve un certain consentement social implicite chez certaines catégories.
Milouda
Harati : Le corps féminin comme construction sociale
Dans le sillon de son intervention, Milouda Harati a
abordé la notion du corps féminin comme étant une construction sociale et
culturelle. Elle a souligné que l’espace public constitue un lieu où s’exercent
contrôle social et domination symbolique sur le corps des femmes, reproduisant
les rôles de genre et restreignant la liberté individuelle. Selon Harati, le
corps féminin devient ainsi un langage social révélateur des rapports de force
et des normes morales, tandis que la distinction entre sphères publique et
privée continue de structurer la place des femmes dans l’espace partagé.
Selon l’intervenante, l’espace
public constitue un lieu où se redéfinissent les frontières entre sphère privée
et sphère publique, où s’exercent contrôle social et domination symbolique sur
le corps féminin, reproduisant les rôles de genre et limitant la liberté
individuelle des femmes. Harati souligne que cette tension se manifeste dans
les pratiques quotidiennes, habillement, déplacements, modes d’expression, faisant
du corps un véritable langage social révélateur des rapports de force et des
normes éthiques. Elle ajoute que les représentations d’un corps « libre »
restent fortement encadrées par la distinction entre public et privé,
conditionnant la place et la visibilité des femmes dans l’espace partagé.
Nargiss Al Attar : Espace public, transformation
symbolique et sécurité
Mettant en toile de fond le
rapport de Menassat, Nargiss Al Attar a abordé l’espace public
comme étant un produit social et culturel, façonné par les rapports de pouvoir,
les normes de genre et les représentations collectives. Selon elle, les
résultats de l’enquête révèlent une évolution des perceptions : la société tend
progressivement à passer d’une logique de tutelle à une reconnaissance des
droits et de la citoyenneté des femmes. Cependant, elle estime que ce changement symbolique coexiste
avec une réalité fragile : en effet, 20 % des répondants estiment que les
lieux publics ne sont pas sécurisés, et 80 % des femmes se déclarent les plus
exposées au harcèlement. Cette situation traduit l’ambivalence entre la
reconnaissance symbolique de la présence des femmes et la précarité des
mécanismes de protection et de sécurité dans l’espace public.
Al Attar souligne également que
la domination masculine ne se limite pas aux attitudes ou aux représentations
sociales : elle s’inscrit dans l’organisation même de l’espace. La hiérarchie
spatiale et les aménagements physiques contribuent à renforcer symboliquement
la position inférieure des femmes, limitant leur liberté de mouvement, leur
sentiment d’insécurité et leur appartenance à l’espace commun. Selon elle,
cette approche met en lumière la nécessité d’une réflexion sur les dimensions
symboliques, sociales et matérielles de l’espace public afin de mieux garantir
la participation pleine et sécurisée des femmes à la vie collective.
Wafaa Fahssi : Engagement
féminin et redéfinition des rôles dans l’espace public par le prisme de la
« GENZ »
Toujours en liaison avec le
rapport sur l’accès des femmes à l’espace public, Wafaa Fahssi a souligné
que la participation des femmes aux mouvements sociaux constitue un indicateur
majeur des transformations de la société marocaine, notamment en termes de
conscience collective et de représentations des rôles de genre. Selon elle, les
femmes passent d’une forme de simples spectatrices pour devenir des actrices,
contribuant activement à la formulation des revendications collectives et à la
promotion des valeurs de l’égalité et de justice. Fahssi a précisé que cet
engagement ne résulte pas d’un contexte isolé, mais de la combinaison de
plusieurs facteurs, entre autres, l’élévation du niveau d’instruction et de prise
de conscience des femmes, le développement des réseaux sociaux qui offrent de
nouveaux espaces d’expression, et les transformations culturelles qui réduisent
l’emprise du système patriarcal traditionnel.
Elle a également montré que la
présence des femmes dans l’espace public, et en particulier celle des jeunes
participantes au mouvement de la « Gen Z », traduit un changement
symbolique dans la structure des relations sociales. Cette participation redéfinit la répartition du pouvoir et le sens
même de l’espace public, reflétant une transformation de la
conscience collective concernant les rôles et la place des femmes dans la vie
sociale et politique.
Cette rencontre a ainsi permis de valoriser, tout en diffusant, les résultats de la recherche Menassat autour des femmes, espace public et libertés individuelles, de favoriser le dialogue entre chercheurs et acteurs civils, et de renforcer l’articulation entre production scientifique et action citoyenne, tant au niveau local qu’au niveau régional. Elle constitue une étape importante pour diffuser les résultats de l’étude et promouvoir des interventions concrètes visant à améliorer la participation et la sécurité des femmes dans l’espace public.
