
Dans le
cadre de son engagement en faveur de l’ouverture et du réseautage, une
rencontre interactive s’est tenue à Tétouan en date du 08 Novembre 2025, pour
présenter et discuter les résultats du rapport « La société civile
scientifique : ce que disent les acteurs et directeurs des centres de recherche
marocains ». La ville de Tétouan a offert un espace d’échange et de
dialogue réunissant responsables et membres de centres de recherche,
universitaires, chercheurs et acteurs civils. Les discussions ont porté sur les
principaux défis auxquels ces institutions sont confrontées, ainsi que sur les
pistes permettant d’améliorer leur fonctionnement et de renforcer leur impact
scientifique et social, tant au niveau régional que national.
La
rencontre a représenté de ce fait, une
étape charnière pour la présentation du rapport, fruit de deux années de recherche
consacrées aux centres de recherche marocains. Ce travail s’est appuyé sur une
démarche méthodologique combinant une cartographie nationale des centres, une
série de rencontres interactives organisées à Casablanca et dans d’autres
régions du Maroc, des entretiens approfondis avec des acteurs du domaine, ainsi
que des articles rédigés par des responsables et experts ayant partagé leur
expérience au sein de ces institutions. Cette approche plurielle a permis de
produire une analyse riche et nuancée de la réalité des centres de recherche,
de leurs dynamiques, de leurs défis et des perspectives de consolidation de
leur rôle dans le paysage scientifique et civique national.
Ayoub El Kysy :
Le rapport s’est appuyé sur une méthodologie scientifique rigoureuse
Ayoub El Kysy, lauréat du programme Jil, a présenté le
cadre général du rapport réalisé par Menassat autour des centres de recherche au Maroc. Il a rappelé
que ces centres constituent aujourd’hui l’une des principales formes
institutionnelles de production de connaissances en dehors des structures
académiques traditionnelles. Selon lui, ils ne se limitent pas à être des
espaces de recherche : ils jouent un rôle actif dans le suivi des
transformations sociales et économiques, la formulation des décisions
alternatives et l’enrichissement du débat public.
Il a expliqué que l’étude avait reposé sur une
méthodologie diversifiée combinant investigation documentaire, recherche
électronique pour la collecte des données, ainsi que les rapports de suivi
issues d’une série de rencontres interactives permettant l’échange
d’expériences entre acteurs du domaine. L’étude s’est également penchée sur la
contribution de ces centres à la production de connaissances et à l’orientation
des politiques publiques, tout en analysant les contraintes juridiques et
organisationnelles qui encadrent leur fonctionnement. À cela s’ajoutent des
entretiens approfondis menés avec des représentants de centres civils
indépendants, ainsi que des articles analytiques rédigés par des responsables
de centres, mobilisant à la fois leur expérience personnelle et leur pratique
de terrain.
El Kysy a enfin souligné que les résultats montrent
une croissance notable dans la création de centres de recherche après le
mouvement du 20 février 2011 et les réformes constitutionnelles qui ont suivi.
La cartographie, réalisée sur un échantillon de quarante centres, révèle en
effet que 37,5 % ont été créés après 2010, 30 % entre 2000 et 2010, et 12,5 %
avant 2000. Une évolution qui témoigne de la demande croissante en expertise spécialisée
et d’une prise de conscience accrue, au sein de la société civile, du rôle
essentiel de la recherche scientifique comme outil d’influence sur la décision
publique.
Aziz Mehouat :
Les centres de recherche au Maroc, un
bridging entre savoir et société
Aziz Mechouat a rappelé que l’idée de créer des
institutions de recherche en dehors des cadres universitaires remonte à la fin
du XIXᵉ siècle. Pour le contexte marocain, il estime que la
cartographie menée par Menassat en 2022, enrichie par cinq rencontres
interactives avec les directeurs et responsables de centres de recherche, a
permis d’analyser de manière fine leur fonctionnement, leurs défis et leurs
perspectives de développement. Ce travail a mis en évidence plusieurs axes prioritaires,
notamment le cadre juridique et financier, la fragilité institutionnelle, les
limites de leur impact et la nature de leur relation avec la société civile.
Ce
diagnostic, selon Mechouat, fait
apparaître plusieurs manières d’appréhender les centres de recherche.
L’approche fonctionnelle les considère comme des organisations productrices
d’études qui assurent l’articulation entre savoir et pouvoir. L’analyse
institutionnelle les situe au croisement des sphères politique, économique,
médiatique et académique. Enfin, l’approche procédurale qui les décrit comme
des institutions civiles à but non lucratif, dédiées à la production de
connaissances et à l’analyse des politiques publiques.
En lien avec ces perspectives, Mechouat a expliqué que
les centres de recherche évoluent dans un espace où ils doivent continuellement
construire leur légitimité et leur reconnaissance, en fonction de leur capacité
à produire un savoir crédible et socialement utile. Il a souligné que la
connaissance qu’ils élaborent s’inscrit toujours dans des rapports de pouvoir,
ce qui fait de leurs productions intellectuelles des discours susceptibles
d’orienter ou d’influencer diverses dynamiques sociales et politiques. Il a
également insisté sur le rôle structurant de ces centres dans la compréhension
de la société: en analysant les réalités sociales et en réorganisant les
savoirs existants, ils contribuent à renforcer la conscience collective et à
ouvrir des pistes d’action et d’alternatives.
L’intervenant estime enfin, que relever les défis des centres de recherche
nécessite une vision réformatrice globale, dont l’adoption d’une loi
reconnaissant les centres comme institutions scientifiques indépendantes, la création
d’un fonds national de soutien à la recherche, le développement de modèles
économiques durables, construction de réseaux locaux et internationaux, et l’élaboration
de mécanismes pour transférer les résultats de recherche aux décideurs. Il a
conclu en affirmant que les centres de recherche incarnent la connaissance comme
un véritable vecteur de liberté, et que Menassat entend participer
à l’émergence d’une société davantage guidée par la rationalité dans ses choix
politiques, économiques et sociaux.
Mohamed Haitoumi : L’efficacité
des centres de recherche détermine l’impact scientifique au Maroc
Dans la continuité de la réflexion sur le rôle et
l’efficacité des centres de recherche, Mohamed Haitoumi a abordé les enjeux
fondamentaux liés à leur nature au Maroc, soulignant qu’ils peuvent constituer
soit une réponse aux limites des institutions traditionnelles comme
l’université, soit une forme d’innovation offrant une efficacité complémentaire
au service de la recherche. Il a insisté sur le fait que ces structures doivent
soutenir la production scientifique, surmonter les obstacles rencontrés par les
chercheurs dans le cadre académique et gérer les défis liés à l’organisation et
à l’administration des centres.
Haitoumi a également rappelé que le sociologue assume
aujourd’hui de multiples fonctions, académicien, chercheur, enseignant,
formateur, encadrant et parfois gestionnaire, reflétant la diversité des
responsabilités associées à la recherche scientifique. Il a souligné que
l’impact de la connaissance dépend directement de l’efficacité des centres de
recherche et a insisté sur la nécessité de transformer l’accumulation de
savoirs en influence concrète sur la société. Il a enfin mis en avant
l’importance de démocratiser et de rationaliser la connaissance, afin que la production
scientifique devienne un véritable levier d’impact social et institutionnel,
plutôt qu’une simple accumulation académique.
Pour rappel, cette rencontre interactive s’inscrit dans l’engagement de Menassat en faveur du soutien aux centres de recherche marocains et de la création d’espaces d’échange d’expertise et de dialogue, permettant d’élargir leur impact au sein du paysage scientifique national. Menassat a déjà organisé, à cette issue, plusieurs rencontres interactives pour examiner la situation des centres de recherche en sciences sociales au Maroc. Cette rencontre constitue également l’aboutissement d’un parcours d’enquêtes de terrain menées depuis 2023 dans différentes régions du pays. Par ailleurs, cette initiative représente une étape clé en vue de la création d’un réseau national cohérent de centres de recherche, afin de renforcer la coopération académique et institutionnelle et de promouvoir une production de connaissances civique plus influente et plus efficace.
