Point de Presse : Quelles représentations des marocains autour de la présence des femmes dans l’espace public ?


Le Centre Menassat a organisé un point de presse dédiée à la présentation de son rapport de la recherche nationale quantitative « Femmes, Espace Public et Libertés Individuelles ». Cette rencontre  s’est tenue à l’hôtel ADAY Casablanca le 12 avril courant, afin de dévoiler les résultats les plus significatifs  de cette enquête de terrain qui a été pilotée par l’équipe scientifique de Menassat tout au long d’une année.

L’événement en question a été marqué par une forte présence d’acteurs de la société civile, de chercheurs universitaires et de militants des droits humains, en plus d’une présence massive des organes de la presse,  qui ont porté un intérêt particulier au rapport de cette recherche quantitative nationale, et ont, en l’occurrence,  assuré la couverture médiatique de la rencontre avec une large diffusion visuelle et écrite.

Ceci dit, l’étude a porté sur un échantillon représentatif de 1528 marocains hommes et femmes, répartis sur les douze régions du Maroc, tout en reposant sur des variables  telles que le sexe, les différentes tranches d’âge, le milieu de résidence (urbain, périurbain ou rural) et le niveau d’instruction. L’enquête visait à dévoiler les représentations  des marocains par rapport à l’accès et la présence des femmes dans l’espace public. A ce titre, la recherche a compris plusieurs axes et thématiques, dont surtout, la liberté du corps, le port du voile, le harcèlement, l’indice de sécurité dans les lieux publics, mais aussi le degré de connaissance des marocains autour de certaines lois mises en vigueur pour la protection des libertés et droits des femmes.

Le point de presse a donc été une occasion pour revenir sur les résultats les plus significatifs de l’enquête nationale, qui ont été respectivement présentés par le directeur de Menassat AZIZ MECHOUAT, ainsi que les membres principaux de la structure, ABDERRAHMANE ZAKRITI, MOUHSSINE MOHAMMED RAHOUTI, BOUCHAIB MAJDOUL ET IKRAM ADNANI.

C’est ainsi que parmi les résultats dévoilés, on observe :

Axe I : La femme et sa liberté individuelle dans l’espace public

  • Les résultats de l’étude indiquent que plus de 75 % de l’échantillon estiment que les femmes ont le droit d’accéder à tous les espaces publics (cafés, cinémas, théâtres, jardins publics, hôtels…), tandis qu’environ 21% parmi eux s’y opposent.
  • Les données indiquent que seulement 5% des participants considèrent que les espaces publics sont très sûrs pour les femmes, alors que 42 % les jugent relativement sûrs, et 25% les jugent sûrs. Toutefois, plus de 20% de l’échantillon estiment que ces lieux ne sont pas sûrs ou pas du tout sûrs, avec un léger avantage de sécurité dans les zones urbaines et rurales si on les compare aux zones semi-urbaines.
  • Plus de la moitié de l’échantillon (57%) estiment que la femme est relativement à l’aise dans les espaces publics. La majorité d’entre eux (environ 90%) pense que le degré de sa liberté s’accroît dans ces lieux, ce qui montre un soutien unanime pour le droit des femmes à accéder à l’espace public, avec quelques disparités entre les milieux urbains et ruraux.
  • Les jeunes sont les plus favorables au droit des femmes  pour accéder sans restriction à l’espace public. Ce soutien diminue en proportion avec l’âge : plus de 80% de la tranche d’âge situé entre 25-34 ans, plus de 77% des 18-24 ans et des 35-44 ans sont favorables, contre seulement 55,9% chez les 65 ans et plus.
  • Plus le niveau d’instruction des interviewés (es) est élevé, plus ils sont conscients du droit des femmes à l’accès à l’espace public et leur travail hors du foyer : 70% d’adhésion chez les non scolarisés, contre 87% chez les diplômés du supérieur. Le taux d’acceptation reste globalement élevé (plus de 50%) pour tous les niveaux d’instruction, même parmi ceux n’ayant pas eu accès à l’école, ce qui constitue une évolution culturelle très significative.
  • Les femmes marquent un taux plus élevé (83,7%) que les hommes (66,4%). En ce qui concerne l’adhésion au droit des femmes à accéder à l’espace public. Cette différence marque un écart perceptible dans les attitudes selon le genre, révélant une influence relative de ce facteur sur les positions exprimées.
  • L’état matrimonial influence le fait d’accepter le travail féminin hors du foyer. Les personnes divorcé(es) et célibataires montrent les plus hauts taux d’acceptation (plus de 60%), tandis que les personnes mariées affichent un taux de refus plus élevé, atteignant les 52%.
  • Les célibataires et les personnes divorcées approuvent fortement (près de 80 %) le droit des femmes à accéder à l’espace public. En revanche, les veufs/veuves et les personnes mariées sont moins favorables, avec des taux variant entre 45% et 70%.
  • Concernant l’accès des femmes aux cafés, 60% des célibataires y sont favorables, contre environ 45% chez les personnes divorcées et  celles qui sont marié (es). L’état matrimonial influence donc ce niveau d’acceptation, avec un pic marqué chez les personnes célibataires.
  • En ce qui concerne la liberté de voyage des femmes et l’accès aux hôtels, les personnes célibataires montrent le plus haut taux d’acceptation (environ 62 %), contre 51% chez les personnes divorcées, 34% chez les personnes veufs (ves) et 50% chez les personnes mariés (es). Malgré ces différences, tous s’accordent à dire que les espaces publics sont relativement sûrs pour les femmes, et que leur degré de liberté y est en croissance par rapport au passé.

Axe II : La liberté du Corps dans l’espace public

  • Plus de 67% des personnes interrogées sont d’accord ou tout à fait d’accord avec la liberté des femmes de disposer de leur corps dans l’espace privé. Cette opinion s’explique par le fait que les femmes investissent davantage cet espace et y passent plus de temps.
  • Plus de 55% des répondants ne sont pas favorables à la liberté des femmes de disposer de leur corps dans l’espace public, contre 42% qui y sont favorables. Il existe une nette disparité entre les milieux rural et urbain : le taux d’acceptation atteint 33,13% dans les zones urbaines, contre 19,82% en zones rurales. En ajoutant les 26,17% des zones semi-urbaines favorables, l’écart devient plus manifeste.
  • Les jeunes générations sont les plus favorables à la liberté des femmes de disposer de leur corps, que ce soit dans l’espace privé ou public. Plus de 9,19 % des tranches d’âge situées entre 18-24 ans et 10,76% des 25-34 ans sont fortement favorables à cette liberté dans l’espace privé, contre seulement 0,52 % des 65 ans et plus.
  • Les femmes sont davantage victimes de harcèlement dans les espaces publics que les hommes : plus de 82% des femmes déclarent que les femmes sont les plus exposées au harcèlement, et les hommes confirment cette tendance à 8%. Plus de 52% des répondants affirment n’avoir jamais été harcelés dans l’espace public.
  • Le harcèlement est un phénomène urbain et semi-urbain, touchant particulièrement les grandes villes : environ 20% en milieu urbain, 13,48% en milieu semi-urbain, et moins de 10% en milieu rural. Les personnes les plus exposés à ce phénomène sont les jeunes âgés de 18 à 34 ans, avec 52% de femmes et 48% d’hommes dans cette tranche d’âge.

Axe III : La liberté des femmes dans l’espace public entre la charia et la loi

  • Plus de 66,8 % de l’échantillon de l’étude ont une tendance à préférer le port du voile dans l’espace public, le considérant une manière de se proscrire aux préceptes  et éthiques religieuses, mais aussi un symbole  qui incarne la pudeur et le respect chez les femmes.
  • Plus de 71,68% des personnes interrogées approuvent  le droit des  femmes  à jouir de leur pleines libertés individuelles sans aucune pression,. En revanche, seulement 13,27% estiment que la liberté individuelle des femmes est synonyme de chaos, de laxisme et de déviance. Un taux de 15%  de cet échantillon n’a  aucune position claire dans ce sens.
  • 45,1% des interviewés (es) ont adopté une position médiane, conciliant les principes de la charia et ceux des droits humains, considérant que la situation des femmes s’améliorerait avec l’application conjointe des deux systèmes. Toutefois, cette position, bien qu’elle soit un indice d’ouverture potentielle à la modernité, elle demeure marquée par une certaine ambiguïté et dualité.
  • 33,2 % estiment que la situation des femmes serait meilleure à travers l’application de la charia islamique, tandis que 14,98% affirment que leur situation s’améliorerait plutôt en adoptant les principes des droits humains.  A savoir que 6,77% de cet échantillon n’ont pas exprimé  de point de vue à cet égard.
  • 86,79% s’accordent (de manière forte à modérée) sur la nécessité de prendre en compte les spécificités locales de la société marocaine (coutumes, traditions, normes sociales, charia...) lors de l’application des principes universels des droits humains liés à la liberté des femmes, dont parmi eux  6,24% rejettent totalement ou partiellement cette idée.
  • Selon les  mêmes résultats de cette étude, 57% des interviewés (e) considèrent que la charia soutient et renforce la liberté des femmes dans l’espace public, contre 28,38% d’entre eux qui estiment que cette dernière est un frein à cette liberté.  Par ailleurs, 14,65% n’adoptent aucune position dans ce sens.
  • Un taux de 8,43% des personnes ayant un niveau d’instruction plus au moins élevé pensent que la charia ne limite pas la liberté des femmes dans l’espace public. Ce pourcentage marque un taux de 21,25% chez les personnes ayant un niveau universitaire.  A l’opposé, ceux qui considèrent que la charia restreint cette liberté représentent 11,55% parmi les universitaires, alors qu’ils sont moins de 6% pour les autres niveaux d’instruction.
  • La recherche a aussi relevé que les jeunes et les personnes ayant un niveau d’instruction élevé, une situation professionnelle et financière stable, et résidant dans des zones urbaines ou périurbaines, sont plus enclins à adopter une position favorable aux droits humains comme garant de la liberté des femmes dans l’espace public.

Axe IV : La Liberté des femmes dans l’espace public et la culture juridique

  • Un taux de 37% des personnes interrogées déclarent avoir une connaissance faible à très faible de l’article 24 de la Constitution marocaine (relatif à la liberté de circulation de tous les citoyens), tandis que 36,07%  en ont une connaissance moyenne, or que  seulement 5,12% considèrent avoir une bonne connaissance de cet article, tandis que 19,71% se sont abstenus de déclarer leur opinion sur ce point. Cette méconnaissance des lois mises en vigueur  est égale chez les hommes et les femmes.
  • 39% des interviewés estiment que leur connaissance de la Moudawana est faible ou très faible, dont 42,51% parmi eux la jugent moyenne, contre un taux  de 5% qui considèrent que leur connaissance par rapport à cette question est bonne. Ces résultats indiquent que malgré le fait que la Moudawana soit une question centrale dans la vie privée et familiale des marocains (es), ces derniers n’en ont que très peu de connaissance.
  • 86,2% de l’échantillon ne connaissent pas l’article 1-1-503 de la loi 103.13 (pénalisant tous types de harcèlement sexuel), contre seulement 13,8 % qui en ont entendu parler.
  • Une fois que les marocains (es) ont été informés (es) du contenu de cet article, un taux de 73% parmi eux l’ont approuvé,  contre un taux de 2,63% parmi eux qui l’ont rejeté. Pour le reste, les avis se sont départagés entre ceux qui sont neutre ou indécis, ce qui démontre la nécessité de mener des campagnes de sensibilisation  à ces articles de lois qui garantissent le droit des femmes dans l’espace public.

Axe V : Garantir la liberté des femmes dans l’espace public : rôle de la loi et de la mobilisation collective

  • Un échantillon de 53,29% estime que les lois mises en vigueur pour garantir la liberté et la dignité des femmes dans l’espace public sont insuffisantes,  contre un taux de 22,27% parmi eux qui pensent qu’elles sont suffisantes,  alors que 25% du même échantillon ne se sont pas exprimé sur cette question.
  • Un taux de 15,70% d’hommes et 17,67% de femmes estiment que ces lois susmentionnées ne sont pas appliquées, dont un taux de 19,19% représentant les hommes et 17,94% représentant les femmes, qui estiment qu’elles ne sont appliquées qu’en réponse à certaines situations bien appliquées,  marquent un taux de 7,82% chez les hommes et 5,06 % chez les femmes.
  • 50,33%  des marocains (es) sont favorables à une réforme du Code de la famille pour renforcer la liberté des femmes, contre 12,48% parmi eux qui pensent que cela n’est pas nécessaire,  alors que 33%  parmi eux ont répondu « je ne sais pas », au même moment ou le reste a refusé de répondre à cette question.
  • Parmi les personnes favorables à une réforme, un taux de 40,29% réclament l’égalité absolue entre hommes et femmes,  contre un taux de 36,54%  qui exigent  plus de droits pour les femmes, alors que 22,28% parmi eux exigent plus de droits pour les hommes — ce qui démontre  que les réformes légales demeurent principalement attachés aux droits et libertés des femmes, que cela soit dans les espaces publics ou les espaces privés.
  • Un taux de 90,93% des interviewés (es) ne sont affiliés (es) à aucune  association de défense des droits des femmes, contre un taux de 6,96% qui affirment leur adhésion (3% de femmes et 3 % d’hommes).
  • 86,99% des interviewés (es) n’ont jamais participé à une action collective en faveur de la liberté des femmes dans l’espace public (manifestations, pétitions, etc.), contre 10,12%  parmi eux qui y ont pris part. Parmi eux, un taux de 5,39%  sont des femmes et 4,73% sont des hommes.

Pour rappel, cette recherche quantitative nationale portant sur les femmes, espace public et libertés individuelles s’inscrit dans le cadre de la troisième édition des études menées par le Centre "Menassat autour des libertés individuelles au Maroc depuis 2021. Elle s’inscrit, en outre,  dans le cadre du Programme JIL dédié à la formation des jeunes chercheurs marocains, et ce dans sa troisième version intitulé JIL Fatima Mernissi. L’objectif de Menassat dans ce sens est double : d’une part, elle vise à renforcer les compétences des chercheurs par le biais de leur implication dans le processus de recherche selon une démarche scientifique. D’autre part, Menassat vise à fournir des données de terrain pour enrichir les débats sociétaux qui soient fondés sur des bases scientifiques, mais aussi, pour prendre part aux décisions autour des politiques publiques  et contribuer par cela au développement d’une société marocaine aux fondements rationnels.