Assise JIL : La Filiation des enfants nés hors mariage dans le vif des débats


Dans le cadre des Out Put du programme JIL, Menassat a organisé en date du 22 février courant à Casablanca, la troisième assise « Choix et Alternatives Sociétales ».  La rencontre a été l’occasion de présenter un Policy Paper autour  de l’expertise génétique, tout en se basant sur des approches qui croisent connaissances scientifiques, législations juridiques et perceptions sociétales. La rencontre a réuni Atika Jabrou députée du Parti de l’USFP, Yassine Rafia Benchakroun, président de l’Association Marocaine de l’Orphelin, et Aziza Ghallam journaliste du groupe le Matin qui a modéré  cette assise. L’assise a connu la présence effective de plusieurs acteurs du tissu associatif, social, académique et médiatique.
 
Kaoutar Tarbouch : Les enfants sans filiation sont des enfants sans identité
A l’issue de cette rencontre, la lauréate de JIL Kaoutar Tarbouch, qui a co-réalisé le billet en question avec un groupe de lauréats du même programme, a abordé les complexités juridiques liées à la question de la filiation et l’impact exercé sur l'avenir des enfants. Ces problèmes juridiques, dit-elle, trouvent leur origine dans plusieurs articles du Code de la famille qui ancrent le principe des disparités et des inégalités,  ce qui constitue un sérieux  obstacle face à l'attribution d'une filiation légitime aux enfants nés hors mariage, à l'image du reste des enfants. Le billet s’articule  sur des données officielles et sur la  recherche scientifique qui font état d’un nombre croissant d'enfants abandonnés. Cette situation, estime l’intervenante, qui se nourrit des dispositions légales, entravent le droit de ces enfants à la filiation et remet en question les avancées réalisées par le Maroc, en termes de droits et libertés individuelles.
Selon Kaoutar, l'étude de terrain menée à l’issue du billet, a révélé plusieurs cas d'enfants sans filiation,  qui sont certes, pris en charge par des foyers de protection sociale ou des institutions de la société civile mais qui vivent au rythme de la stigmatisation sociale qui touche à la fois les mères et les enfants nés hors mariage. Cette stigmatisation, explique l’oratrice, se manifeste par des insultes et des termes péjoratifs : "enfants de la rue, enfants illégitimes...",  et réduit le statut de ces enfants qui sont victimes de leur sort, en des individus  portant le sceau de la  culpabilité: "nous sommes sales...". Cette situation discriminatoire envers les enfants, entrave le processus de leur intégration dans la société et engendre des problèmes psychologiques et sociaux affectant leur stabilité et leur avenir.
C’est en partant de ce constat que  Kaoutar Tarbouch recommande dans son Policy Paper, de ratifier les articles du Code de la famille relatifs au volet de la filiation, en introduisant l'expertise génétique dans les dispositions de la filiation en cas de litige. Elle suggère également de permettre aux enfants nés hors mariage de bénéficier de tous les droits liés à l'attribution de la filiation à leur père biologique.
Atika Jabrou : Je serai la voix de tous les enfants abandonnées devant toutes les institutions.
Dans le vif du même sujet, la députée de l’USFP Atika Jabrou a rappelé que tous les courants  modernistes au Maroc,  portent la cause des enfants abandonnés et de leur droit à la filiation. Elle a également mis en avant l'importance de la recherche scientifique pour dévoiler les aspects cachés de ce phénomène social. D'autre part, Jabrou a expliqué que les réformes proposées dans le cadre du Code de la famille, notamment celles concernant l'expertise génétique comme moyen pour prouver la filiation, ont soulevé plusieurs problèmes. Elle a précisé  que les groupes parlementaires œuvrent pour résoudre ces problèmes à travers des commissions parlementaires, tout en adoptant une approche participative alliant toutes les parties concernées. Elle a également affirmé que le rejet de l'expertise génétique par le Conseil supérieur n'est pas seulement une question juridique, mais un problème fondamentalement sociétal qui touche toutes les sphères.
Dans le même contexte, Jabrou a rappelé la ratification par le Maroc de plusieurs chartes et conventions internationales autour de la non-discrimination entre les enfants et la protection de leurs droits civils et sociaux. Elle a proposé, à cet égard, de réviser les modifications proposées en tenant compte des interprétations religieuses qui doivent impérativement prendre en compte les grandes transformations structurelles de la société marocaine. Mais aussi, insiste la députée, il faut que cela passe  par une compréhension rationnelle de la législation religieuse afin de préserver la dignité des individus, avant de conclure « je serai toujours la voix des enfants abandonnés au sein de toutes les institutions politiques, afin de défendre cette cause, tant au Parlement qu'auprès du gouvernement ».
Yassine Rafia Benchakroun : La protection des enfants nés hors mariage est une responsabilité sociétale
 Yassine Benchakroun a mis le point sur les études de terrain de Menassat, les considérants comme une référence pour leurs actions au sein de l'Association marocaine pour l'orphelin. Il a souligné l'importance de la recherche scientifique qui devient un élément clé pour répondre aux problèmes sociétaux soulevés. Il a également appelé les institutions responsables au Maroc à réaliser des études et à fournir des chiffres clairs sur les enfants abandonnés et ceux nés hors mariage.
Benchakroun a insisté sur le fait que la plupart des enfants nés hors mariage sont issus de cas de viols, de promesses de mariage ou de fiançailles, par opposition aux cas dits "de prostitution", tout en rejetant  l'idée que cette expertise pourrait légitimer la marchandisation du corps et accentuer les phénomènes de déviance. L’objectif de l’expertise génétique est plutôt de protéger les enfants contre la stigmatisation sociale issue de ces situations, où l'enfant devient victime toute sa vie. Il a aussi évoqué les dangers de la discrimination entre enfants, telle que définie par l'article 148 du Code de la famille, qui distingue entre enfants légitimes et illégitimes. Cette discrimination est légalement stipulée et retrouve son prolongement dans la société, ce qui nécessite de remettre en question la jurisprudence, qui constitue la base de ces législations.
Comme alternatives pour le changement et l’amélioration de cette réalité, Benchakroun a proposé, une nouvelle lecture des textes religieux en fonction de la réalité sociale actuelle. Il a également demandé que la question de la filiation soit  un objectif primordial, garantissant l’intérêt suprême des enfants, qui ont besoin d'une identité biologique pour préserver leur dignité. Par ailleurs, il a souligné la nécessité de simplifier les procédures  légales pour les mères célibataires afin d'intégrer leurs enfants dans les institutions éducatives et administratives, en plus de simplifier les démarches administratives pour l’adoption par des tiers, des enfants sans identité et nés hors mariage, afin de leur offrir un cadre de vie.
A l’issue de cette assise, plusieurs recommandations ont été formulées, entres autres :
  • L'adoption comme moyen d'assurer l'appartenance des enfants sans identité.
  • Une approche humaine pour préserver la dignité des enfants.
  • La réinterprétation du texte religieux en fonction de la réalité sociale actuelle.
  • L'instauration de l'avortement comme moyen de protéger les mères et les enfants des conséquences de la grossesse hors mariage.
  • L'implication des secteurs de l'éducation et des médias, considérés comme essentiels pour traiter ce phénomène.
  • L'utilisation de la recherche scientifique pour aborder les phénomènes sociaux dangereux, afin de bâtir une vision réelle et objective de ces phénomènes.
  • Considérer l'intérêt suprême de l'enfant comme la référence fondamentale pour la réforme de toute loi ou législation.

Pour rappel, cette rencontre s'inscrit dans le cadre des assises du programme JIL qui se tiennent, après une année de formation continue couronnée par la réalisation entre autres des Policy Papers dont les thématiques sont puisées de la société marocaine. Menassat organise ces assises afin de multiplier les opportunités de rencontres et de dialogue entre les jeunes chercheurs et  les acteurs institutionnels, dans un climat dépourvu de tensions et avec un discours qui puise sa légitimité dans la rigueur scientifique. Les assises sont donc un pont érigé vers les acteurs toutes sphères confondues, afin de croiser les regards, d’intensifier les pourparlers autour des thématiques et débats sociaux, vers ce qui contribue à l’amélioration des politiques publiques. Le tout coule vers l’instauration d’une société rationnelle et qui trace son développement tout en se basant sur les principes de l’égalité, la démocratie et les droits humains.