
Dans le cadre de sa stratégie visant à renforcer les
capacités des jeunes chercheurs dans le domaine des sciences humaines et
sociales, le Centre Menassat pour les recherches et les études sociales a
organisé, du 25 au 27 juillet 2025 à Casablanca, la première session de
formation de la quatrième édition du programme JIL. Cette
édition, placée sous le signe d’Abdelkebir Khatibi, rend hommage à sa
contribution majeure en sociologie et en pensée critique, notamment à travers
une remise en question des structures symboliques et culturelles de la société
marocaine, ainsi que son engagement en faveur d’une société moderne, rationnelle
et fondée sur la valorisation du savoir et de la recherche scientifique.
Cette session encadrée par un groupe d’académiciens et
d’experts constitue une étape charnière d’un parcours de formation qui
s’étalera sur une années, destiné à préparer une nouvelle génération de
chercheurs maîtrisant les outils d’analyse méthodologique, de pensée critique,
ainsi que les techniques de rédaction de notes de politique publique.
Les travaux de cette session ont porté sur le
développement des compétences théoriques et pédagogiques des participants, à
travers des séances scientifiques et des ateliers interactifs. L’objectif étant
de leur transmettre des compétences en encadrement et en formation, leur
permettant à l’avenir de jouer un rôle central en tant que formateurs au sein
du programme, et de contribuer à la préparation de nouvelles générations de
chercheurs capables de relier savoir scientifique et initiative citoyenne.
Entre
littérature et sociologie… L’héritage de Khatibi dans le regard de Ghita El
Khayat
En ouverture
de la session de formation, Aziz Mechouat a souligné que le choix d’associer
cette édition au nom d’Abdelkebir Khatibi ne constitue pas uniquement un
hommage à une figure centrale de la pensée marocaine, mais se veut aussi une
invitation à puiser dans la richesse de son projet intellectuel pluriel, en
l’inscrivant dans les enjeux contemporains. »
Dans le prolongement de cette
activité, l’écrivaine et psychiatre Ghita El Khayat est revenue sur les liens
intellectuels profonds qui l’unissaient à la pensée en perpétuel renouvellement
d’Abdelkebir Khatibi. Tous
deux, dit-elle, ont partagé de nombreux colloques, conférences et échanges
intellectuels, mais c’est avant tout une affinité profonde autour d’intérêts
culturels, littéraires et intellectuels qui les rapprochait. Chacun, à sa
manière, a franchi les frontières de sa discipline : Khatibi en explorant la
sociologie, El Khayat en s’ouvrant à la psychanalyse, tous deux convergeant
vers la littérature, la sémiologie, la philosophie et l’anthropologie.
De cette proximité est
née une riche tradition épistolaire, mêlant réflexions littéraires et
intellectuelles, qu’ils ont entretenue pendant plus d’une décennie. Ces
échanges ont donné lieu à un ouvrage commun, « Correspondance
ouverte », traduit en plusieurs langues, dont l’arabe
sous le titre رسائل في التحاب (Lettres
d’affection), publié en 2023.
Ghita El Khayat a affirmé que la pensée de Khatibi se
caractérisait par la créativité, le courage, la profondeur, l’érudition
et l’ouverture, certes des qualités que les jeunes chercheurs doivent
impérativement cultiver, en particulier dans le contexte marocain actuel.
.
Science et
société : la sociologie au cœur de la transformation citoyenne
Dans une intervention intitulée « Science et société
: de la construction du savoir critique au plaidoyer citoyen », le professeur
Houssa Azarou a présenté une lecture critique du rôle des sciences sociales et
de la sociologie dans la compréhension de la société et sa transformation.
L’intervenant entame son intervention par une question
fondamentale : Pourquoi prendre la science comme point de départ ? En guise de réponse, il explique que la
science ne se limite pas à un simple empilement de savoirs, mais qu’elle engage
une réflexion épistémologique profonde, faisant de la société un véritable
objet de connaissance. À cet égard, l’ouvrage « Introduction
à la pensée complexe d’Edgar Morin », illustre bien, selon
Azarou, comment les sciences sociales,
longtemps reléguées à la périphérie des savoirs traditionnels, ont
progressivement acquis un rôle central dans les institutions.
Azarou a également mis en lumière l’expérience
américaine à la fin du XIXe siècle, qui a révélé le besoin d’une sociologie
capable d’explorer les problèmes sociaux. Il a insisté sur la nécessité d’une
sociologie active, ancrée dans la réalité sociale et dépassant les simples
fonctions descriptives. Il a ainsi plaidé pour un lien étroit entre le
travail académique et l’engagement citoyen.
Renouveler le
rôle du chercheur : la connaissance pragmatique comme pont entre académique et
sociétal
En partant de
la connaissance académique allant vers la connaissance pragmatique, Bouchaïb
Majdoul a exploré les rapports entre philosophie et sociologie, en identifiant
les points de convergence et de rupture entre les deux disciplines. Il a
insisté sur la nécessité de passer d’un savoir strictement académique à une connaissance
pragmatique, à l’instar des approches proposées par Max Weber et William James.
Il a également souligné l’importance d’intégrer des
sources multiples de connaissance, telles que l’intuition ou le bon sens, pour
appréhender la réalité sociale, dans le but de dépasser l’abstraction
académique et de s’ouvrir à l’action et à l’impact réel sur la société. Il a
ainsi appelé à un renouveau de la recherche scientifique par l’élargissement
des sources du savoir, et à une redéfinition du rôle du chercheur à partir de
l’expérience concrète et des enjeux sociétaux, loin du formalisme technique des
thèses universitaires.
Policy Papers :
vers un renforcement des compétences et capacités des participants
La
session du deuxième jour a été dédiée à la présentation collaborative des
Policy Papers élaborés par les participants. Chaque groupe a exposé un résumé
de son travail, auquel ont succédé des retours constructifs et des
recommandations de la part des encadrants, dans le but d’optimiser et
d’améliorer ces documents.
Cette
session a été enrichie par une présentation
référentielle animée par Aziz Mechouat, qui a présenté des exemples
concrets de Policy Brief ayant exercé
une influence tangible sur les politiques publiques. Cela a offert aux participants l’occasion
d’analyser ces documents en profondeur et de débattre de leurs points forts,
tels que la clarté de la problématique, la pertinence des recommandations,
ainsi que la qualité de la formulation et de la présentation. Cet exercice a
constitué une véritable opportunité pour affiner leurs compétences en analyse
critique et renforcer leur aptitude à rédiger des policy papers efficaces,
capables d’influencer et d’orienter les décisions politiques vers un réel
changement..
Ateliers
interactifs pour renforcer les compétences en planification et évaluation de la
formation
Lors de la dernière journée,
Mustapha El Mnasfi a animé un atelier consacré à la méthodologie de conception
des formations. Structuré autour de trois étapes fondamentales, la planification, l’animation et l’évaluation.
Cet atelier a mis en lumière les principes clés pour assurer la réussite et
l’efficacité d’une session de formation.
El Mnasfi a particulièrement
insisté sur la nécessité d’élaborer des fiches
techniques précises et détaillées, véritables guides pratiques
qui permettent d’encadrer chaque session avec rigueur et clarté. Il a également
souligné l’importance d’employer des outils
de communication adaptés et efficaces afin de favoriser
l’engagement et la participation active des apprenants.
Enfin, l’évaluation de l’impact
a été présentée comme un élément central, non seulement pour mesurer les
résultats immédiats, mais surtout pour s’inscrire dans une dynamique d’amélioration continue.
Cette approche garantit que chaque formation puisse être réajustée et optimisée
en fonction des retours, des besoins évolutifs des participants, et des
objectifs pédagogiques visés.
Ainsi, cet atelier a offert aux
participants un cadre méthodologique solide, leur permettant de mieux
structurer, animer et évaluer leurs futures actions de formation dans un souci
constant d’efficacité et de pertinence.
Pour rappel, cette activité
entre dans le cadre de la 1ère session de formation de la 4ème
èdition du Programme JIL évoluant cette année sous les auspices de Abdelkebir
Khatibi et sous le signe de la continuité et de l’innovation.